La mort des formations.

L'apprentissage en entreprise évolue vers un modèle basé sur l'expérience et l'apprentissage collectif au sein des projets.

La mort des formations.
Photo by Thought Catalog / Unsplash

La crise sanitaire nous a permis d'observer un changement dans les modes de formation : du présentiel au distanciel. Nous constatons une ruée vers les plateformes d'e-learning existantes et les start-up qui travaillaient sur ce type de produit ont réalisé de belles levées de fonds. Il est bien sûr important d'assurer la montée en compétences de nos collaborateurs, donc si nous ne pouvons plus le faire en physique, autant le faire à distance, car la technologie nous le permet. Nous l'avons également fait, nos conférences et ateliers sont maintenant disponibles à distance et nous avons travaillé notre architecture digitale pour assurer au mieux ce service, mais à chaque fois que nous intervenons, il y a quelque chose de dissonant...

Ne serions-nous pas en train de nous tromper ? Et s'il fallait profiter de cette période pour aller au-delà du simple transfert, d'un format à un autre, de nos contenus ? Et si nous pouvions repenser les modes d'apprentissage et les montées en compétences en entreprise ?

Cela fait quelque temps que nous gardons cette réflexion en toile de fond afin d'imaginer des modes optimisés d'apprentissage au sein des organisations. Pour cela, nous sommes revenus à nos bases, les sciences cognitives et la sociologie des organisations, et avons établi quelques principes assez simples :

  • Le cerveau est une machine sensorielle qui apprend par l'expérience. En fait, si le cerveau devait avoir un format de fichier, ce serait un .xp. C'est la seule chose qui l'intéresse et qu'il stocke. Une expérience est un peu comme un algorithme qui utilise des informations sensorielles comme données d'entrée et produit une série d'actions comme signal de sortie. En pédagogie, on parle donc de deux types de connaissances. Les connaissances basées sur le transfert sont simplement des informations sensorielles qui entrent dans nos matrices neuronales, par exemple une capsule vidéo ou apprendre par cœur quelque chose, c'est ce que nous appelons des connaissances "descendantes" ou "passives". Ce type de connaissance est qualifié de léger, il est très vite oublié et peu adaptable à long terme. Plus les informations sensorielles sont riches, plus les actions sont multiples, plus l'expérience sera forte et plus l'apprentissage sera durable et surtout adaptable à d'autres situations. Nous parlons dans ce second cas de connaissances basées sur l'expérience. Contrairement à ce que nous pouvons penser, un ordinateur est qualifié d'environnement "pauvre", car il est pauvre en informations sensorielles, souvent limité à la vue et au son, et à un toucher sur un clavier. Debout ou assis, l'ordinateur nous force en plus à être statiques, ce qui limite encore plus la richesse de l'expérience. Nous ne pourrons jamais remplacer la richesse de l'environnement physique et sensoriel riche en expériences que nous appelons "le lieu de travail". Il est donc difficile de remplacer l'intégralité d'un programme de formation par du 100 % digital, du moins pas dans sa forme actuelle.
  • On ne peut pas changer seul. Changer les habitudes d'une seule personne est compliqué, donc changer les habitudes d'une équipe, voire d'une direction entière, peut parfois s'avérer impossible. Si une personne suit une formation, aussi interactive et riche soit-elle, elle aura toujours du mal à changer son ou ses équipes. Si elle est la seule à changer, la facilité des vieilles habitudes, aussi frustrantes soient-elles, la ramènera rapidement à "ce qui se faisait avant". Elle sera phagocytée par son environnement. Un apprentissage doit être collectif au sein des organisations, nous apprenons ensemble ou nous n'apprenons pas du tout. C'est pourquoi tout projet de montée en compétence doit être collectif et non individuel. D'ailleurs, si vous voulez optimiser votre organisation du point de vue du management, nous vous suggérons de former les non-managers au style de management que vous souhaitez mettre en place. Inutile parce que ce ne sont pas eux les managers ? Oui, mais non. D'abord parce que chacun doit être manager de ses propres tâches, mais surtout parce que ce sont eux qui vont recevoir le management. En fin de compte, cette formation aura beaucoup plus d'impact sur eux que sur le manager lui-même. Les former aux mêmes approches leur permettra de mieux comprendre le comportement du manager et donc de l'accompagner dans la mise en place de ces nouvelles approches.
  • Le projet est le générateur d'expériences (et donc de connaissances) au sein des entreprises. Tout comme un individu, il est dans la nature d'une organisation d'être apprenante, elle enchaîne naturellement les échecs et les succès collectifs. Cet apprentissage se fait à travers des actions. En entreprise, ces actions sont connues sous le nom de projets. Les projets et surtout le passé des projets représentent donc les expériences de l'entreprise. Aujourd'hui, à tort, les projets ne sont ni vus ni conçus comme des terrains d'apprentissage et donc peu d'efforts sont consacrés à "la mémoire et au partage des expériences". C'est comme si vous oubliez chaque action effectuée, vous tournez en rond et refaites tout le temps les mêmes erreurs. Dans les organisations d'aujourd'hui, d'un côté nous apprenons par le biais de la formation et de l'autre nous agissons par le biais du projet. Et c'est ce qui se passe dans la réalité : "Ah non, Guillaume n'est pas disponible sur ce projet, car il est en formation, il va falloir faire sans lui." Cette dichotomie entrave et ralentit la vie opérationnelle des entreprises. La réalité est que nous faisons les deux en même temps, nous apprenons en faisant, il doit donc en être de même pour les organisations. Comme toujours, c'est le besoin de "séparer" les choses qui génère ce que nous appelons une amnésie organisationnelle, une entreprise qui oublie et donc qui n'apprend pas.

En fin de compte, si vous combinez ces 3 paramètres, vous obtenez le mode de formation parfait pour demain : la création d'une structure pédagogique autour des projets de l'organisation. Il n'y a jamais eu de meilleur laboratoire d'apprentissage que l'entreprise elle-même, c'est pourquoi nous ne devons pas "former" les collaborateurs, mais plutôt concevoir pour eux l'environnement pédagogique qui leur permettra d'apprendre en binôme (avec les autres) et par l'expérience (par l'action). En théorie, vous n'avez donc plus besoin de commander des formations, mais d'utiliser la vie opérationnelle de l'entreprise pour permettre à vos collaborateurs d'apprendre.

Vous voulez qu'une personne apprenne à être manager ou acquière une compétence technique spécifique ? Donnez-lui la responsabilité ou la tâche sur un projet d'apprentissage et mettez en place un accompagnement pédagogique pour l'ensemble de l'équipe d'apprenants afin de les soutenir dans ces nouvelles expériences et dans leur montée en compétence collective.

La cerise sur le gâteau ? En plus d'économiser et de mutualiser des ressources (économiques et humaines) et d'optimiser les capacités d'adaptation des équipes, ce type hybride d'apprentissage en binôme et par l'expérience permet également de valoriser chaque individu au sein de l'entreprise et donc d'augmenter leur niveau d'engagement.

La formation telle que nous la connaissions est morte au profit d'une forme d'accompagnement continu. Le futur de cet accompagnement ne semble donc pas résider dans la digitalisation des leçons, des contenus ou des ateliers, mais plutôt dans ce mode particulier de conception pédagogique plus connu sous le nom d'expérientiel : la conception d'environnements et d'accompagnements pédagogiques autour des projets de l'entreprise.

Nous en avons fait notre spécialité.

GD.