S'habituer à changer
L'habitude fait partie du changement continue, mais comment s'habituer à changer ?
L'idée de cet article est apparue lors d'un trajet Orléans - Beauvais où je travaillais sur une mission de conduite du changement. J'arrive à Austerlitz, me place à un endroit particulier sur le quai du métro, rentre dans la rame et sors mon téléphone. Je m'engage dans une partie de Grindstone avec mon mix découverte sur les oreilles. Le trajet dure 20 minutes, juste assez pour deux parties. J'arrive à la gare du Nord, prends la sortie, puis l'escalator et me dirige vers mon café pour le boire à la même place "que d'habitude". Ce sont ces derniers mots qui ont résonné dans ma tête. Pourquoi aimons-nous tant faire "comme d'habitude" ?
La première sensation que j'ai eue en essayant de tirer le fil de ce sentiment, c'est celle du contrôle. Je maîtrisais totalement mon trajet, j'ai même dit bonjour au garde de sécurité qui lui d'ailleurs ne m'a pas reconnu. Au final, je me sentais un peu comme chez moi, dans un environnement sécurisant. Je pense que c'est une des premières raisons pour lesquelles nous aimons tant nos habitudes. Elles nous servent de référentiel et nous font sentir en sécurité. Elles nous donnent l'illusion de maîtriser une infime partie d'un monde que l'on ne pourra jamais vraiment maîtriser. La peur du changement se trouve d'ailleurs d'abord dans celle de perdre nos repères et de ne plus rien contrôler, de ne plus faire "comme avant", comme si d'ailleurs "comme avant" était la meilleure solution.
L'autre observation est qu'au fur et à mesure de mes trajets, le temps entre le métro et le café a diminué. Je me suis mis à fermer mon ordinateur au bout d'un moment pour arriver devant un écran qui affiche ma voie pour rapidement me diriger vers le train. C'est, je pense, l'autre dimension des habitudes, elles fournissent le substrat nécessaire à l'apprentissage, au renforcement et donc à l'amélioration. Plus on a des habitudes dans un environnement défini et restreint, plus on les renforce et plus on devient une sorte "d'expert".
Mais d'un autre côté, plus une habitude est répétée et instaurée, plus elle s'automatise, moins elle évolue et plus elle demande de l'effort pour être démantelée et changée. Nous avons cette "flemme" innée et perpétuelle qui nous empêche de faire une autre activité dans le métro, de probablement trouver un "meilleur" trajet ou de trouver un nouveau café. Et le pire, c'est que nous avons beau nous dire qu'il faudrait changer, on ne passe que très rarement à l'action, car l'investissement d'effort demandé ne nous garantit pas forcément un retour sur investissement : explorer l'inconnu augmente la probabilité d'échec et donc de danger. Les habitudes et le "bien-être" qu'elles procurent nous empêchent d'explorer et nous privent de l'enrichissement apporté par de potentielles autres solutions, tout aussi efficaces voire meilleures.
Donc d'un côté, nos habitudes nous permettent de nous rassurer et de nous renforcer et de l'autre, elles nous enferment et nous empêchent d'explorer de nouveaux horizons qui, eux, nous permettront de nous stimuler, d'explorer et de nous améliorer ? Comment résoudre cette équation ?
Une habitude est liée à un environnement, et l'environnement n'est pas quelque chose de statique, mais bien dynamique. Une panne de métro ou la rénovation du café sont des modifications de l'environnement qui nous incitent naturellement à changer nos habitudes. La naturelle transformation de nos environnements nous oblige à faire les choses différemment, elle nous oblige à nous adapter pour nous l'approprier. C'est ce changement réciproque et constant entre environnements et individus qui est au cœur du développement des cultures. La question aujourd'hui est d'instaurer ce changement à long terme, comment accompagner l'effort nécessaire pour transformer un changement en une nouvelle habitude ? Comment travailler l'environnement pour qu'il contre l'attractivité des anciennes habitudes ? Est-ce que nous devons phaser la transformation des environnements pour accompagner les nouveaux apprentissages sans exploser les repères d'un individu ? Où est-ce qu'un changement drastique forcera l'évolution voulue des esprits ? Chaque école a ses arguments.
Une habitude ou une routine n'est pas mauvaise par définition, elle est même essentielle à notre construction en tant qu'individu au sein d'un collectif, le danger est de ne pas être à l'écoute des environnements sensoriels et socio-économiques pour la modifier et l'adapter, le danger est bien de ne pas être capable de s'habituer à changer...
Gd.