De l'UX à l'AX : Comment l'IA redéfinit les métiers de l'expérience

L'intégration des LLMs redéfinit l'expérience utilisateur. Les professionnels de l'UX entrent dans une nouvelle ère : concevoir ne signifie plus seulement penser des interfaces, mais orchestrer des relations entre humains, agents artificiels et systèmes d'information.

De l'UX à l'AX : Comment l'IA redéfinit les métiers de l'expérience
Photo by Hasse Lossius / Unsplash

Dans le cadre de mes fonctions au sein du BRGM, on m’a demandé de réfléchir à l’impact de l’IA sur les métiers de l’UX. Je me permets donc de vous partager ces réflexions 🙂

Les métiers de l'expérience utilisateur sont à l'aube d'une transformation profonde. L'intégration des modèles de langage (LLMs) dans nos services numériques ne représente pas simplement une évolution technologique de plus : elle redéfinit fondamentalement la nature même de ce que signifie concevoir une expérience au sein de services ou d’espaces aux dimensions numériques.

L'UX d'aujourd'hui : concevoir l'interaction humain-système

Actuellement, les concepteurs UX/UI consacrent leur expertise à analyser et concevoir les comportements utilisateurs face à un système d'information. Chaque objets, chaque écran, chaque bouton, chaque parcours est minutieusement pensé pour faciliter l'interaction entre l'humain et la machine. Le designer est le traducteur qui transforme les besoins utilisateurs en interfaces compréhensibles par le système, et inversement.

Le basculement : quand l'IA devient l'interface

Demain, cette équation change radicalement. Les LLMs pourront prendre en charge une grande partie de ces interactions directes. L'utilisateur n'aura plus nécessairement besoin de naviguer dans des menus complexes ou de remplir des formulaires : il exprimera simplement son intention en langage naturel, et l'agent artificiel se chargera d'exécuter les actions correspondantes.

Pour les concepteurs, cela implique un déplacement majeur. Il ne s'agira plus tant de concevoir des interfaces visuelles que de réfléchir aux façons d'interagir avec le LLM pour qu'il comprenne et accomplisse efficacement les demandes utilisateurs. C'est un nouveau champs de réflexion qui émerge : l'Agent Behavioral Design.

L'Agent Behavioral Design : concevoir la personnalité de l'IA

Cette nouvelle approche de conception implique de penser le comportement des LLMs. Quelle personnalité doit avoir l'agent ? Comment doit-il répondre face à l'incertitude ? Quel ton adopter selon les situations ? Comment gérer les erreurs et les incompréhensions ?

Ces questions relèvent d'une conception comportementale qui va bien au-delà du simple design d'interface. Elles touchent à la psychologie de l'interaction et à la construction d'une relation de confiance entre l'utilisateur et son agent artificiel.

L'émergence de l'AX : l'Agent eXperience

Mais la réflexion ne peut s'arrêter là. L'Agent Behavioral Design, qui définit donc la façon dont l'agent va interagir avec l'utilisateur, vient compléter une dimension tout aussi essentielle : les fonctions de l'agent au sein du système d'information, c'est-à-dire ce qu'il peut concrètement faire et les actions qu'il peut exécuter.

Ces deux dimensions sont intrinsèquement liées et forment un tout cohérent que l'on pourrait regrouper sous un champ disciplinaire : l'AX, ou Agent eXperience. D'un côté, le comportement relationnel de l'agent avec l'utilisateur (comment communiquer, quel ton adopter, comment gérer les incompréhensions). De l'autre, ses capacités opérationnelles et son intégration technique (quelles données il peut accéder, quelles actions il peut orchestrer, comment il navigue dans le système d'information).

Il est important de noter que l'AX n'est pas un concept entièrement nouveau. C'est en réalité un reliquat d'un des cœurs de l'UX pré-IA : établir la liste des fonctionnalités qu'un agent peut réaliser, qu'il soit artificiel ou humain. Ce qui change aujourd'hui, c'est la répartition de ces fonctions entre ce que la machine va réaliser de manière autonome et ce que l'humain va continuer à prendre en charge. L'AX englobe ainsi la conception globale de l'agent artificiel, aussi bien dans sa dimension relationnelle qu'opérationnelle, en héritant des méthodes de conception fonctionnelle qui existaient déjà dans l'UX traditionnelle.

Des compétences nouvelles pour les professionnels de l'UX

Cette évolution impose aux experts UX de développer de nouvelles compétences, avec deux axes majeurs de développement professionnel.

Le renforcement des compétences en psychologie

La psychologie, déjà présente dans la formation des professionnels de l'UX, devra être considérablement renforcée et approfondie. Il ne s'agit plus seulement de comprendre les parcours utilisateurs ou les principes d'ergonomie cognitive classiques. Les designers devront maîtriser les mécanismes psychologiques sous-jacents aux interactions conversationnelles : comment les humains construisent-ils la confiance avec un interlocuteur ? Quels sont les signaux qui créent un sentiment de compréhension mutuelle ? Comment les biais cognitifs influencent-ils l'interprétation des réponses ?

Comprendre les dynamiques relationnelles humain-machine devient central. Les professionnels de l'UX devront s'approprier des concepts issus de la psychologie sociale, de la linguistique pragmatique, et même de l'anthropologie pour concevoir des agents qui non seulement répondent aux besoins fonctionnels, mais créent aussi des expériences relationnelles satisfaisantes et appropriées au contexte d'usage.

Cette expertise psychologique permettra de définir des profils comportementaux cohérents pour les agents artificiels : doit-il être empathique ou factuel ? Proactif ou réactif ? Comment doit-il gérer les émotions de l'utilisateur ? Quelle distance relationnelle maintenir selon les contextes ?

La maîtrise de l'art du prompt système

Mais cette compréhension psychologique ne suffit pas. Elle doit pouvoir se traduire concrètement dans le comportement de l'agent, et c'est là qu'intervient une compétence technique nouvelle et essentielle : la maîtrise de l'écriture des prompts système.

Les prompts système sont ces instructions fondamentales qui guident le comportement d'un LLM à travers l'ensemble de ses interactions. Ils constituent en quelque sorte l'ADN comportemental de l'agent artificiel. C'est dans ces prompts que se cristallise le profil psychologique conçu en amont : ils définissent le rôle de l'agent, ses limites, son style de communication, ses priorités, et la manière dont il doit interpréter et répondre aux demandes des utilisateurs.

Maîtriser cet art revient à concevoir une personnalité cohérente et fonctionnelle par le langage. Il ne s'agit plus simplement de créer des wireframes ou des maquettes visuelles, mais de rédiger des instructions précises et nuancées qui déterminent comment l'agent comprendra le contexte, gérera l'ambiguïté, maintiendra la cohérence dans ses réponses, s'adaptera aux différentes situations, et incarnera la personnalité définie.

Cette compétence demande une double expertise : une compréhension fine des capacités et limites des LLMs d'une part, et une capacité rédactionnelle précise d'autre part. Les designers UX devront apprendre à formuler des instructions qui guident sans rigidifier, qui définissent des comportements sans créer d'incohérences, et qui permettent à l'agent d'être à la fois prévisible et adaptatif.

Vers une nouvelle identité professionnelle

Les professionnels de demain devront donc maîtriser à la fois l'UX traditionnelle, la psychologie approfondie des interactions humain-agent, la conception comportementale des agents artificiels à travers l'écriture de prompts système, et cette nouvelle discipline qu'est l'AX. Ce n'est plus un seul métier, mais un écosystème de compétences complémentaires qui dessine une nouvelle identité professionnelle. Un défi stimulant qui promet de redéfinir complètement les contours de ces métiers passionnants, à l'intersection de la psychologie, de la technologie et du design.

Mais bon, toute cette perspective ne peut être valide que si nous décidons que les agents doivent se rapprocher du comportement humain…

Guillaume DECHAMBENOIT.